22 nov. 2010

Quand Andy sourit à Kelly.


Retour dans le Sud-Ouest après quelques jours sous les tropiques. Le temps est vraiment automnal avec du vent, de la pluie et des températures fraîches. A l’arrière du taxi, je reprends contact avec un environnement qui m’est familier : l’aéroport de Biarritz, l’A63 direction Bordeaux, la sortie huit Benesse-Maresme, le parking du cabanon de l’office de tourisme et, les fameux quatre par trois qui symbolisent l’arrivée en terre surf.

Habituellement, le triptyque aligné sur l’axe principal d’arrivée à Capbreton est partagé entre les 3 grosses compagnies de surf que sont Quiksiver, Rip Curl et Billabong. En polychromie, on y découvre les affiches des principaux événements de la surf culture, les derniers produits à la mode ou les exploits des champions de l’une de ces trois compagnies. Mais là, non. Juste trois photos en noir et blanc.

Sur la première, un magnifique barrel que l’on devine landais, avec un surfer droit tout en maîtrise, qui se rééquilibre après un take-off vertical. La deuxième nous montre un énorme carve en haut d’une grosse droite, effectué sous les yeux du public d’une compétition au premier plan. Enfin, sur la troisième, un portait qui donne tout le sens de cette composition inhabituelle. C’est celui de Andy Irons souriant, avec une seule phrase en noir sur un fond clair : In Loving Memory of Andy Irons – 1978-2010. Trois photographies en hommage à celui qui vient de quitter ce monde quelques jours auparavant.


Le chemin qui conduit à mon appartement me fait passer devant un autre lieu de Capbreton, à savoir le shop ultra moderne de la major du surf Quiksilver.  Là aussi, quelque chose a changé.  La façade du magasin a été recouverte par une toile immense. C’est une composition en noir et blanc encore une fois, avec à droite le portrait de profil de Kelly Slater récemment couronné champion du monde pour la dixième fois, et à gauche un énorme KS10 en guise d’acronyme définitif ( ?). Soixante mètres carrés de plastique à la gloire du champion de la marque.
Deux lieux, deux modes de représentations, pour deux événements majeurs de la scène surf. L’un magique, lumineux, le dixième titre mondial de Kelly Slater à l’issue de l’étape WCT de Porto Rico. L’autre tragique, obscur, la mort du triple champion du monde Andy Irons dans une chambre d’hôtel du Texas.

Pour des compagnies où la communication et l’exploitation de l’image des champions est une activité primordiale, la concomitance de deux événements d’une telle dimension est un véritable cas d’école pour ce qui est des réactions à envisager. Et, pour le monde surf dans son ensemble il y a un mélange de sentiments plus ou moins forts mais sans aucun doute antagonistes et par là même, difficiles à concilier. En effet, comment célébrer décemment la victoire de l’un, se réjouir de ce fabuleux titre alors que dans le même temps la perte de cet immense athlète attriste une même communauté ? Est-ce que la fête n’est pas gâchée en somme ?

Alors, je ne sais pas si cela a été fait volontairement, mais je ne peux  m’empêcher de voir dans cet agencement local une remarquable mise en scène. Le noir et blanc auront été volontairement choisis pour souligner l’importance et la solennité des deux événements. La position des affiches et l’agencement des portraits sont par contre bien plus vraisemblablement le fait d’un hasard que je trouve « heureux ».

Au milieu de la nature qui est notre terrain de jeu, la première place, celle que l’on remarque immédiatement en arrivant sur nos spots du sud landais, a été laissée à l’hommage au défunt. Le triptyque est entièrement dédié à la mémoire d’un de ces surfeurs qui nous aura tant fait rêver. La concurrence entre les marques et les marques elles-mêmes se sont effacées (ou presque) comme pour nous rappeler que c’est bien l’homme, son action, et au delà sa vie qui priment sur le reste et en particulier sur l’industrie du surf-spectacle.

La représentation de la victoire de Kelly est plus loin, en ville, avec tout ce qu’elle a d’artificielle : les éclairages, les vitrines, le marketing. La police des caractères est travaillée et imposante, la marque et les logos bien présents. Pas de représentation du surf, mais juste le visage d’un homme, les faits : Kelly Slater 10 fois champion du monde, la marque.

Chacun est à sa place en quelque sorte. Le souvenir d’Andy en pleine nature, dans son élément. La victoire de Kelly sur la devanture d’un supermarché du surf. Il y a même de la distance entre les compositions comme pour figurer une forme de pudeur ou de gène.
Et puis, il y a l’importance des portraits et la singulière direction des regards de Andy et de Kelly.

Deux portraits en grand, imposants, pour deux visages d’homme. Sur le portrait du disparu, on voit Andy en plan rapproché regardant vers la droite et légèrement vers le haut, un sourire aux lèvres. Il a l’air satisfait, content, peut être heureux. Kelly quant à lui, regarde vers la gauche, fixement. Il a un air concentré, grave. Je me prends à voir deux regards qui se croisent. On pourrait alors presque y voir une sorte de posture admirative chez Andy, posture empreinte d’une pointe de malice, en rebelle qu’il a toujours été. Chez Kelly, ce serait alors une posture de réflexion, peut être de recueillement. Les postures auraient été d’autant plus probables que la relation entre les deux hommes était a priori empruntent d’un profond respect. Cela aurait pu être une jolie photo : le maître et ses dix victoires face à celui que l’on a présenté comme un des rares à pouvoir lui barrer la route, fort de Trois victoires consécutives, deux grands hommes se regardant.



Alors non, la fête n’est pas gâchée. Je me dis que la fête n’est pas gâchée car au-delà des représentations, et de la communication faite autour de ces deux événements, la mort de Andy vient nous rappeler une chose essentielle : nous, comme ces icônes, sommes mortels. Et en ce sens, la conscience de la mort, moteur de nos passions, vient grandir la victoire de Kelly.
Quand Andy sourit à Kelly, c’est en effet un homme qui sourit à un autre homme. La victoire de Kelly n’en est alors que plus belle car ce n’est plus la victoire d’un héros sur papier glacé, ni d’un extra-terrestre, et encore moins d’un dieu, mais c’est la victoire d’un homme.

PS : je dédie ce texte à ce membre de notre communauté que je ne connaissais pas mais qui disparaissant à l’âge d’un frère, me fait me souvenir la douleur et la tristesse de la perte d’un ami.

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