6 déc. 2010

Banlieue de Bagdad


Il est des instants étranges dans la vie où une musique, un son, un parfum, ou une image entre en résonance avec  une situation et font vibrer les sens. Pour peu que l’on y prête attention bien sûr, ces instants ont quelque chose de magique.

Vol EK 075 entre Dubaï et Paris. L’hôtesse m’offre un café après un repas copieux. Le voyage commence à être long et pour tromper l’ennui, je décide d’explorer les multiples options qu’offre la console multimédia de mon siège. Je découvre qu’en plus des films et classiques musicaux, il est possible d’écouter des albums récemment sortis. Je lance donc « The suburbs » de Arcade fire.
J’en ai entendu parler avant de partir sans pouvoir l’écouter. Fan de leur premier disque Funeral, j’étais un peu resté sur ma faim avec Neon bible. Mais là, je tombe sous le charme dès les premières notes de ce troisième opus. L’orchestration est magnifique, les mélodies chatoyantes, et l’une après l’autre les chansons me séduisent. C’est plein d’énergie et j’en oublie presque le voyage.

Et puis arrive Suburban War.
Le gimmick de guitare fait  immédiatement mouche et je prends une claque. Je suis complètement sous le charme à mesure que les notes s’enchainent et, alors que je prends conscience de la situation dans laquelle je me trouve, l’émotion monte encore un peu plus pour un vrai frisson.  
L’écran en face de moi indique notre position sur une carte et je viens de m’apercevoir que nous sommes au dessus de Bagdad. Nous sommes à onze milles mètres du centre de la capitale irakienne. Me viennent en tête toutes ces images de guerre, de violence et de destruction qui déferlent sur nos écrans occidentaux, en même temps que j’écoute la chanson. Et les paroles tombent à pic.
La chanson parle de rues que l’on détruit et de souvenirs qui s’effacent, d’amis qui se perdent et se cherchent. Plus tard, les paroles parlent de musique qui sépare les gens en tribus, et de choisir son camp. Elles pourraient être des paroles venant de la ville elle-même. Suburban War, comme un écho de la ville, un trait d’union ironique entre deux tribus étrangères.
J’écoute plusieurs fois le morceau pour prolonger cette résonance et apprivoiser un sentiment très bizarre. Mélange étrange emprunt de crainte, de sérénité, et de gène. Je n’ai pas vraiment choisi d’être là, en tout cas pas cette trajectoire. Je suis pourtant dans la chanson, et à quelques kilomètres du centre, je suis dans la banlieue de Bagdad.


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